Les infrastructures sanitaires dans les Calanques
Les îles et la maladie
Face à la cité phocéenne, le Frioul a joué un rôle sanitaire important dans la protection contre les épidémies importées par voie maritime, notamment la peste et le choléra. Ces îles faisaient en effet office de première porte d’entrée du port de Marseille.
Du fait de la peste qui ravageait les pays du Levant avec qui la ville échangeait des marchandises, une administration sanitaire s’est progressivement mise en place….
Patentes et quarantaine
Dès le XVIe siècle, tous les bateaux en provenance de Méditerranée orientale devaient mouiller à Pomègues et chaque bateau devait présenter à la consigne du port sa patente, sorte de certificat sanitaire décrivant l’état de santé des passagers et des ports de provenance du navire.
Suivant la qualité de la patente, le temps de quarantaine était plus ou moins long. En cas de danger avéré, le navire et son équipage pouvaient être retenus jusqu’à quarante jours. Si un membre de l’équipage tombait malade, toute la quarantaine était à recommencer. Elle pouvait durer jusqu’à six mois ! La quarantaine était obligatoire : elle se faisait à la périphérie de la ville, d’abord aux infirmeries d’Arenc, puis au Frioul, et en cas extrême, à l’île de Jarre dans l’archipel de Riou.
La peste à Marseille
Les systèmes mis en place ont montré leurs limites lors de l’épidémie de 1720, avec les conséquences de l’arrivée du Grand-Saint-Antoine, finalement coulé près de l’île de Jarre.
À la fin du XVIIIe siècle, une vaste administration sanitaire veille donc à ce que plus aucune épidémie ne rentre dans Marseille : la peste est dans tous les esprits. Le vaste lazaret de Saint-Martin d’Arenc sur le continent et le port de quarantaine de Pomègues permettaient alors de recevoir une soixantaine de bateaux ainsi que leurs occupants.
La fièvre jaune et l’hôpital Caroline
Dès le début du XIXe siècle, une maladie originaire d’Amérique, inconnue et inquiétante, apparaît : la fièvre jaune. Elle apparaît neuf fois au lazaret d’Arenc à Marseille, entre 1800 et 1819, mais ne déclenche aucune épidémie dans la ville. Au contraire de Barcelone, qui perd un sixième de sa population en 1821, à cause d’un navire infecté en provenance de Cuba. Un signal d'alarme pour les intendants de santé ! Marseille doit se préparer à endiguer cette maladie dont on ignore le mode de transmission.
Appuyé par la municipalité et la chambre de commerce, les intendants de santé demandent la construction d’un hôpital dans l’archipel du Frioul afin d’isoler les patients, mais aussi d’éviter l’affolement des Marseillais et de limiter le risque lié aux intenses échanges commerciaux. Ce sera l’hôpital Caroline, qui ne sera finalement jamais été utilisé pour ses fonctions premières, faute de cas de fièvre jaune à Marseille...
Le lazaret des îles
Suite à la destruction du lazaret d’Arenc en 1850 afin de construire un nouveau port commercial (l’actuel port autonome), on décide que toutes les installations sanitaires seront réunies sur l’archipel du Frioul. L’hôpital Caroline est réaménagé : on limite sa fonction d’hospitalisation, et il devient principalement un lieu d’hébergement pour les quarantenaires.
On construit également un ensemble de cinq nouveaux pavillons sur l’île pour compléter le dispositif. Les installations sanitaires du Frioul sont désormais appelées le « lazaret des îles ». Il constitue à ce moment-là un des plus grands de Méditerranée.
Réaffectation et déclin des installations
De 1855 à 1856, le lazaret est occupé par les soldats malades ou blessés revenant de la guerre de Crimée. Mais jugé trop austère et trop éloigné, aucun médecin ne veut y travailler à temps plein. Ces derniers se déplacent uniquement si un navire infecté accoste au Frioul. C’est le cas en 1900 quand 35 malades de la peste, sans doute les derniers, sont hospitalisés à Ratonneau.
Le lazaret des îles est ponctuellement utilisé au début du XXe siècle pour accueillir des réfugiés et des prisonniers de guerre. Il sera utilisé une dernière fois en 1936, quand une épidémie de typhus se déclarera dans les prisons marseillaises. Sa vie en tant que support sanitaire prendra réellement fin en raison des bombardements des îles par les Alliés en 1944 qui rendront l’archipel dangereux de par les dégâts occasionnés. Les progrès de la médecine sont une autre raison du déclin des lieux.
Choléra, canal de Marseille et émissaire de Cortiou
Au XIXe siècle, Marseille soutenait un chiffre de mortalité supérieur à celui des autres grandes villes françaises. Les deux causes principales : le manque d’eau douce pour la consommation et le nettoyage, et la mauvaise séparation des eaux potable et usée, Marseille n’ayant à cette époque aucune infrastructure de tout-à-l’égout, ce qui déclenchait des épidémies durant les grands orages typiques du climat marseillais.
Le canal de Marseille est d’abord construit de 1839 à 1854. Puis il fallut attendre la fin du XIXe siècle pour que les autorités comprennent la nécessité d'un égout. Elles décident alors la construction du grand collecteur de Cortiou en 1890, supprimant ainsi les épidémies entériques dues à une eau contaminée à Marseille.
Le patrimoine sanitaire dans les Calanques
Le port de quarantaine se situait dans l’anse de Pomègues, où l’on trouve aujourd’hui une ferme aquacole. Le lazaret des îles s’étendait sur l’île de Ratonneau, notamment à l’emplacement actuel du village du Frioul (construit en 1974). Disséminés sur ces deux îles, digue, hangars, citernes, pavillons, bittes d’amarrage directement taillées dans la roche, et même une chapelle, aux allures de temple grec, témoignent aujourd’hui de cette histoire sanitaire.
La construction la plus emblématique est l’hôpital Caroline, inscrit aux monuments historiques en 1980. Citons aussi le pavillon Hoche qui, parmi d’autres bâtiments délaissés, s’élève encore aujourd’hui à l’endroit d’une ancienne carrière. Enfin, le musée d'histoire de Marseille consacre une séquence à cette histoire mouvementée.
Le système des patentes
« Tous les vaisseaux arrivant du Levant doivent d’abord s’arrêter à l’île Pomègues, qui est à cinq milles de Marseille ; en approchant de terre ils déploient leur pavillon ; aussitôt le fort de l’île en hisse un autre qui indique de quelle nation est le navire. Ce signal est répété par la vigie placée sur le rocher de Notre-Dame-de-la-Garde. Le capitaine se présente au bureau de la santé ; l’officier de service fait raisonner le navire, c’est-à-dire qu’il demande au capitaine avec un porte-voix, d’abord de prêter serment, et ensuite de dire d’où il vient, comment il s’appelle, quel est son chargement, et enfin de quelle patente il est porteur.
Les patentes sont délivrées par les consuls.
La patente nette indique un état de santé parfait ; la patente touchée fait connaître que l’équipage est sain, mais qu’il vient d’un lieu suspect ; la patente soupçonnée, que le vaisseau arrive d’un pays où régnait une épidémie ou d’un lieu qui a eu communication avec des caravanes provenant d’un pays où il y avait épidémie. La patente brute est la plus mauvaise ; elle annonce que la peste était dans le pays d’où arrive le bâtiment ou qu’elle règne à son bord.
La moindre supercherie dans la patente est sévèrement punie. »
Stendhal, Mémoires d’un touriste
À lire
Un homme, un navire : La peste de 1720, Michel Goury, Éditions Jeanne Laffitte
Vingt-six siècles de médecine à Marseille, Georges Serratrice, Éditions Jeanne Laffitte