Une résidence d'artistes et une exposition
Le Parc national des Calanques, l’Institut Pythéas (Aix-Marseille Université, CNRS, IRD) et la Fondation Camargo ont lancé un appel à résidences international, avec le soutien de la Fondation Daniel et Nina Carasso, sur la base d’un texte rédigé par Gilles Clément (voir plus bas sur cette page), jardinier, paysagiste et écrivain, invitant les artistes à s’interroger sur les liens à la nature pour les habitants d’une métropole dans le contexte exemplaire du Parc national des Calanques.
Les artistes
Huit artistes ont ainsi été sélectionnés et invités pour une résidence de cinq semaines du 10 janvier au 14 février 2018 :
- Ryo Abe (Japon)
- Julien Clauss (France)
- Nicolas Floc’h (France)
- Franck Gérard (France)
- Lisa Hirmer (Canada)
- Katie Holten (Irlande)
- João Modé (Brésil)
- Shanta Rao (France)
Les travaux
En compagnie de chercheurs, d’agents et d’usagers du parc, les artistes sélectionnés ont arpenté les territoires terrestres et sous-marins du Parc afin d’alimenter leurs réflexions. Ils ont également participé à différentes activités de partage des connaissances et de savoir-faire :
- Une rencontre / atelier avec des élèves de l’enseignement secondaire
- Une master classe pour des étudiants d’écoles d’art ou d’architecture
- Une présentation publique à la fin de la résidence
Une exposition au FRAC du 10 mars au 8 avril 2018 a présenté les résultats de ces recherches, où étaient notamment abordés les sujets de l’interface ville-nature, des portes d’entrées du Parc national, des méduses ou des paysages sous-marins, de notre rapport aux pierres ou aux plantes... Des questionnements, des pistes de réflexions, des esquisses ont été présentés, traces de ces échanges et germes de futurs projets.
Le contexte : le lien Homme-Nature, par Gilles Clément
Le mot « nature » a été créé au temps de la Grèce antique avec l’objectif de soustraire les êtres vivants non humains, ainsi que les éléments inertes, à un univers de superstition et de croyance polythéiste. Cette « mise à part » a engendré une science dite « naturelle ». L’humanité s’est ainsi trouvée séparée d’un monde dans lequel elle baignait : abandon d’une situation fusionnelle qui liait de façon absolue mais non formulée l’Homme à la Nature. La distance, prise avec ce qui autrefois se trouvait intrinsèquement lié au corps et à l’esprit, prend de plus en plus d’importance avec l’accroissement de l’outillage scientifique. Un microscope est un intermédiaire, un filtre – voire un écran –, entre l’observateur et l’objet observé. Le lien Homme-Nature devient un concept et non une réalité, une vision du monde qui détache définitivement l’humanité du contexte qui l’a fait naître pour la placer en position « autre », c’est-à-dire en position supérieure. Dans un contexte fusionnel tel qu’il était autrefois ce lien n’avait aucune raison d’exister, il n’aurait eu aucun sens.
Cette conscience de supériorité, après s’être épanouie dans les esprits du siècle des Lumières, se renforce avec l’exploit technologique de la société industrialisée en pleine expansion à l’issue de la Seconde Guerre mondiale. Elle s’exprime de façon matérielle et brutale avec succès. Le monde agricole, par exemple, passe de la paysannerie héroïque à l’industrialisation rentable du territoire en quelques décennies. Il est question de maîtriser la nature et non de se lier avec elle. Le lien Homme-Nature n’est plus qu’un vague sujet de discussion pour les intellectuels à court de projets de thèse…
Au début du XXe siècle, l’avènement de l’écologie crée un choc-retard qui ne sera sérieusement analysé qu’une cinquantaine d’années après son énoncé par Haeckel. Il oblige à tout repenser. L’humanité n’est pas hors de la nature, elle en fait partie, elle évolue dans le même espace fini, elle n’est qu’un élément vivant de cette boule de vie : Gaïa (dira Lovelock un peu plus tard). Si l’on considère que l’humanité et la nature ne font qu’un, le lien Homme-Nature n’a plus de raison d’exister car il n’y a plus de distance entre l’un et l’autre. Mais les humains ne peuvent se résoudre à endosser un tel statut, ils ont du mal à l’idée de faire partie d’un ensemble dont ils ont mis des siècles à se détacher. Les mécanismes de la nature n’ont pas d’état d’âme, le climat change, les sols meurent, la diversité s’effondre et les humains en pâtissent. Ils découvrent leur responsabilité, inventent l’Anthropocène et s’arrêtent en chemin car ils ne savent plus quoi faire. On en est là.
Quelle est l’issue ? Quelle recherche lancer ? Faut-il abandonner toute idée de maîtrise et regarder ce qui nous entoure comme un ensemble qui nous habille, nous fait vivre, nous interpelle et parfois nous blesse ? Peut-on parler aux arbres comme on parle aux humains ? Quel serait le langage du futur si l’abandon de la maîtrise (de l’illusion de la maîtrise) nous amenait à entreprendre un dialogue et non une guerre avec ce qui nous entoure et que, bizarrement, nous appelons « environnement » ? (Mot mal choisi tant il est sûr que cela continue à nous maintenir à distance d’un monde dont nous voudrions pourtant nous rapprocher.)