La calanque du paradoxe
1896 : la pollution organique arrive à Cortiou
Au XIXe siècle, les épidémies de choléra, de variole et de fièvre typhoïde ravagent Marseille à cause de l'écoulement de toutes les eaux usées dans les rues, et compromettent son avenir comme port de commerce. Le maire, Félix Baret, décide de lancer un grand projet d'assainissement de la ville.
De 1891 à 1896, un grand réseau unitaire de tout à l’égout est construit : 20 bassins, 192 kilomètres de galeries et canalisations, et un émissaire de 12 kilomètres de long qui rejette les eaux usées produites par 400 000 habitants dans la calanque de Cortiou. À l'époque, on pense que la mer est capable d’absorber les déchets de manière illimitée. De plus, la calanque de Cortiou est battue par de forts courants marins : la pollution rejetée (essentiellement constituée de matière organique) serait donc rapidement diluée.
Années 1960 : les premiers constats scientifiques
Après-guerre, les scientifiques se préoccupent de l'impact du rejet sur le milieu marin. En 1966, les résultats des biologistes sont clairs : le rejet dégrade fortement l’écosystème marin, mais dans une zone relativement restreinte de quelques 800 mètres de rayon devant la sortie de l’égout. À la faveur des vents, la pollution bactérienne dérive vers la rade de Marseille.
1976 : l'Huveaune détournée vers Cortiou
Au début des années 1970, Marseille veut développer ses activités balnéaires mais un problème se pose : les eaux de la rade sont trop polluées pour que l'on se baigne dedans. Cette pollution provient des industries qui se sont développées dans la vallée de l’Huveaune. On creuse donc une deuxième conduite qui détourne l’Huveaune et sa pollution industrielle vers Cortiou. Les dégâts sur le milieu marin sont considérables : faune et flore sont gravement endommagés jusqu'à plusieurs kilomètres au large.
Années 1970 : la prise de conscience
Plusieurs personnalités dénoncent en cœur les dégâts de la pollution sur les écosystèmes marins en Méditerranée. Scientifiques et cinéastes tels que le commandant Cousteau, Nardo Vicente et Christian Pétron alertent sur la situation catastrophique à Cortiou, ainsi que dans toutes les villes côtières rejetant directement leurs eaux usées et leurs déchets industriels en mer. Ils réclament une stratégie d'assainissement : elle sera lancée en 1980.
1987 : le début de l'épuration
En 1987, Marseille inaugure sa station d'épuration physico-chimique, en deux installations : le traitement des eaux usées sous le parvis du stade Vélodrome, et le traitement des boues dans l’ancienne carrière de la Cayolle. Le rejet de Cortiou est alors débarrassé de la plupart de ses matières en suspension et d'une partie des détergents présents dans les eaux usées.
2008 : le traitement biologique
Dès l’inauguration de la première station d’épuration en 1987, des voix réclament la mise en place d’un traitement biologique pour neutraliser une partie de la pollution invisible dissoute dans le rejet, qui continue de se déverser en mer. Ce dernier n'arrivera que vingt ans plus tard, en 2008, suite à une mise aux normes européennes de la station d'épuration.
2018 : mise en place du bassin Ganay
En dépit de la mise en place du traitement biologique en 2007, le système d’assainissement de l’agglomération marseillaise n’a pas immédiatement atteint des résultats conformes aux exigences européennes. En cause : un système de collecte des eaux unitaire rapidement dépassé par temps de pluie, contraignant l’exploitant de la station à déverser les eaux usées sans traitement préalable en cas d’orage.
Pour répondre à cette problématique, les pouvoirs publics investissent dans la construction de bassins de rétention pour stocker l’eau de pluie et permettre à la station de fonctionner dans des conditions optimales. En 2018, le bassin Ganay est ainsi inauguré.
Cortiou aujourd'hui et demain
C'est au XIXe siècle, à une époque où la notion d'écologie n'existait pas, que Cortiou a été choisie comme point de rejet des égouts de Marseille. Depuis lors, la mise en place progressive de l'assainissement des eaux usées n'a cessé d'améliorer la qualité du rejet, aujourd’hui aux normes européennes.
La qualité des eaux de l’Huveaune s’est également améliorée en raison de la désindustrialisation de sa vallée et des efforts collectifs, notamment coordonnées par l’EPAGE HUCA.
Néanmoins, l’existence d’une nuisance environnementale si proche des côtes et au cœur d’un parc national questionne. En lien avec les acteurs publics et privés du territoire, le Parc national porte l’ambition d’une amélioration continue de la qualité des eaux se déversant à Cortiou et de celle des habitats marins associés.
Au-delà du respect des normes actuellement applicables en matière d’assainissement, le rejet de Cortiou dans un espace naturel protégé en recherche d’excellence environnementale invite à la formulation de réponses innovantes et exemplaires.
« Une eau claire n'est pas forcément une eau pure : il persiste cette pollution chimique qui est la plus grave, la plus insidieuse, car elle ne se voit pas. Au fond de la mer, les dégâts sont considérables, et ils le resteront encore pendant longtemps. »
Nardo Vicente, biologiste marin, 1988
Une web-série pour faire le tour de la question
Pour restituer la riche histoire de Cortiou et exposer ses problématiques complexes, le Parc national a produit une web-série dédiée. Rassemblant les témoignages d’une très grande diversité d’acteurs du territoire, celle-ci vise à partager avec le grand public des pistes d’action et de réflexion sur l’avenir du rejet.