L’activité reine des Calanques
Les premières excursions
Marseille, janvier 1897. Un matin, Paul Ruat accroche une ardoise sur la devanture de sa librairie : « Excursion publique le dimanche 24 janvier : Plan-de-Cuques, Logis-Neuf, Notre-Dame-des-Anges, le col de Sainte-Anne et Simiane. Cinq heures de marche. Dépenses : 1 fr. 50 ». Voit alors le jour l'association des Excursionnistes marseillais, un des plus anciens clubs de randonneurs de France, reconnu d’utilité public en 1920.
Ils sont les premiers en France à concevoir un système de signalisation spécifique aux itinéraires de randonnée et conservent aujourd’hui leur rôle d’entretien des sentiers, en partage avec les clubs locaux de la Fédération française de randonnée pédestre. Les Excursionnistes marseillais ont été les premiers usagers de loisir du massif des Calanques, cultivant et véhiculant des valeurs de respect et de protection de la nature. À tel point qu’ils manifestèrent en 1910 pour la préservation de la calanque de Port-Miou, exploitée par une carrière : c'est l’une des premières manifestations écologistes de France.
Marcher dans les Calanques
À l’origine, il y avait globalement peu de randonneurs, et toujours professionnels, comme les « Excurs ». Désormais, la part des amateurs a largement dépassé celle des passionnés. En outre, il y a une nette différence en matière de typologie de visiteurs selon les saisons : l’été, une part importante d’amateurs, et hors saison, les aficionados, qui ont une véritable sensibilité à l’environnement.
Aujourd’hui, le Parc national des Calanques compte 140 kilomètres de sentiers balisés et 2 itinéraires de grandes randonnées : le célèbre GR98-51 « Les balcons de la Méditerranée », et le GR2013, projet singulier né à l’occasion de Marseille Provence, capitale de la culture, qui parcourt le massif de Saint-Cyr et la Gineste.
Signalétique et balisage
Grâce à sa collaboration avec les associations de terrain, le Parc national vise à améliorer le balisage des sentiers et l'installation de panneaux informatifs, dont plusieurs grands itinéraires ont été récemment équipés à Port-Miou, Luminy, Callelongue, le Frioul, Cassis…
L'objectif est de renforcer la place de la randonnée dans le Parc national en améliorant la qualité de l’expérience des pratiquants, l'accueil des groupes et la prévention contre le hors-sentier. Les sentiers doivent être partagés entre randonneurs aguerris, promeneurs occasionnels ou encore trailers dynamiques.
Les dangers du hors-sentier
Marcher ou courir en dehors des sentiers balisés, c'est piétiner la flore, déranger la faune au repos, accélérer l’érosion des paysages. Le problème du hors-sentier concerne tous les usagers des Calanques : un effort commun doit être fourni pour limiter l'impact environnemental de la marche et de la course à pied, et conserver leur caractère de « pratique douce ».
Bien qu'elles constituent un terrain ludique, les zones d'éboulis des Calanques ne se renouvellent pas comme en haute montagne. Elles accueillent des espèces endémiques très rares (notamment la sabline de Provence), c’est pourquoi il est fortement déconseillé de les emprunter.
Des écrivains randonneurs
Cette intense pratique de la randonnée par les Marseillais est abordée en 1961 par Jean Giono, par ailleurs grand arpenteur de la Provence :
« À part, disons, un millier de Marseillais (sur 800 000) qui vont à la mer pour le plaisir, le reste est résolument montagnard... De là, dans Marseille, une foule d’associations, toutes terrestres, et terrestres jusqu’à être pédestres : les excursionnistes marseillais, les marcheurs de Saint-Henri, les alpinistes de la Barasse, etc. »
Parmi les écrivains locaux, on pense également à Marcel Pagnol qui a chanté les joies des longues marches dans les collines. En revanche, on pense beaucoup moins à Simone de Beauvoir, qui a vécu à Marseille et a beaucoup pratiqué la randonnée en Provence, et notamment dans les Calanques ! Voici comment elle le raconte dans le deuxième tome de ses mémoires, La Force de l’âge :
« L'excursion était le sport favori des Marseillais ; ses adeptes formaient des clubs, ils éditaient un bulletin qui décrivait en détail d'ingénieux itinéraires, ils entretenaient avec soin les flèches aux couleurs vives qui jalonnaient les promenades. Un grand nombre de mes collègues s'en allaient le dimanche, en bande, escalader le massif de Marseilleveyre ou les crêtes de la Sainte-Baume...
Au début, je me limitais à cinq ou six heures de marche ; puis je combinai des promenades de neuf à dix heures ; il m'arriva d'abattre plus de quarante kilomètres. Je ratissai systématiquement la région. Je montai sur tous les sommets : le Garlaban, le mont Aurélien, Sainte-Victoire, le Pilon du Roi ; je descendis dans toutes les calanques, j'explorai les vallées, les gorges, les défilés. Parmi les pierres aveuglantes où ne s'indiquait pas le moindre sentier j'allais, épiant les flèches – bleues, vertes, rouges, jaunes – qui me conduisaient je ne savais où ; parfois, je les perdais, je les cherchais, tournant en rond, battant les buissons aux arômes aigus, m'écorchant à des plantes encore neuves pour moi : les cistes résineux, les genévriers, les chênes verts, les asphodèles jaune et blanc. Je suivis au bord de la mer tous les chemins douaniers ; au pied des falaises, le long des côtes tourmentées, la Méditerranée n'avait pas cette langueur sucrée qui, ailleurs, m'écœura souvent ; dans la gloire des matins, elle battait avec violence les promontoires d'un blanc éblouissant, et j'avais l'impression que si j'y plongeais la main elle me trancherait les doigts. Elle était belle aussi, vue du haut des coteaux, quand sa feinte douceur, sa rigueur minérale brisaient le déferlement des oliviers. »
« À la fois sauvage et d'accès facile, la nature, autour de Marseille, offre au plus modeste marcheur des secrets étincelants... »
Simone de Beauvoir