Archéologue sous-marin, Luc Vanrell est un insatiable explorateur, passionné par l’aventure humaine. En nous partageant ses recherches, il nous emmène aussi bien à la découverte des premiers chapitres de l’humanité que sur les traces de l’aviateur Antoine de Saint-Exupéry.
Portrait par Éric Lenglemetz, recueil du témoignage par Noëlie Pansiot.
Enfant de la balle
J'ai grandi dans une famille passionnée par le patrimoine. Mon père était un grand curieux, féru d'archéologie sous-marine. Les débuts de la plongée, pour moi, c’était à 5 ans, quand il m’emmenait avec lui. J’ai donc barboté là-dedans dès mon plus jeune âge. Ce qui me passionne, c’est l'histoire des hommes, l'aventure humaine.
Que ce soient les vestiges de la préhistoire ou ceux de périodes bien plus récentes, c'est le mystère, l'interrogation qui vont me capter, m'appréhender et je vais forcément avoir envie de comprendre et de savoir. Ça paraît bizarre mais j'ai deux terrains de spécialités qui sont à 30 000 ans d’écart. Mais géographiquement, ils ne sont pas si loin ; l'épave de Saint-Exupéry est au large de la grotte Cosquer.
La grotte Cosquer, l’aventure des débuts de l’humanité
J'interviens sur la grotte Cosquer depuis 1994 et j’en ai été le responsable scientifique de 2001 à 2021. Mon premier choc en rentrant dans la Grotte Cosquer pour la première fois a été pour la beauté du site, cet écrin absolument somptueux pour l'art préhistorique. C'est la caverne d'Ali Baba, ça brille de tous les côtés : des scintillements, des couleurs chaudes qui se déclinent sur toute la palette du possible.
Après, bien sûr, il y a le côté émouvant de l'art : avoir la trace de nos premiers ancêtres. On estime qu’il y a eu à peu près 14 000 ans de présence dans la grotte, avec des activités qui commencent dès le début, par exemple le prélèvement de matériaux comme le Lait de Lune. Cette matière blanche était utilisée par nos ancêtres pour se protéger de la vermine, mais surtout comme décoration sur leur peau noire.
L’occupation de Cosquer a eu lieu pendant la période glaciaire, il y avait alors trois biotopes. Le biotope littoral, peuplé de phoques, de pingouins et parfois de cétacés échoués, apportait d’importantes ressources. Derrière se situait le plateau continental, qui est en gros entre 60 et 120 mètres de profondeur aujourd’hui. Cette ancienne grande plaine littorale était un territoire steppique tout à fait favorable aux grands herbivores : chevaux, aurochs, cerfs mégacéros, cerfs élaphes. Et derrière se trouvaient les massifs montagneux qui avaient, selon la période, entre 320 et 135 mètres d'altitude de plus qu'aujourd'hui. Ce troisième biotope était peuplé de bouquetins et de chamois en quantité.
Ainsi, alors qu’à cette période la survie était difficile dans une grande partie de l’Europe, les hommes ici avaient la chance de pouvoir choisir leur alimentation. Ces populations vont profiter de cet environnement et avoir une stabilité beaucoup plus grande que d'autres et surtout que leurs propres ancêtres, qui eux étaient des chasseurs de grandes plaines d'Eurasie et devaient se déplacer régulièrement d'est en ouest pour suivre les troupeaux d’herbivores.
Saint Exupéry… la fin d’un mythe
Je suis un grand fan de la personnalité du pilote Antoine de Saint-Exupéry. Sa disparition mystérieuse, comme son personnage du Petit Prince, contribuait à faire sa légende et donc je n'étais pas du tout motivé pour enquêter et casser ce mythe. Seulement, un jour, alors que j’étais en opération sur la grotte Cosquer, à quelques centaines de mètres, Jean-Claude Bianco pêche la gourmette d'Antoine de Saint-Exupéry, à proximité d'un site où j’ai repéré des vestiges d'avions. Je pensais qu’il s’agissait de vestiges allemands, mais l'affaire était plus compliquée puisque deux avions s'étaient crashés au même endroit : un allemand et un américain.
Le magazine Science et Vie publie alors des photos de l’avion sur lequel a disparu Antoine de Saint-Exupéry, et là, je reconnais des pièces que j'ai vues au fond de la mer, notamment le train d'atterrissage. J’alerte le chef du Drassm qui me dit « va t'acheter une cravate, on risque de passer à la télé ». Et là, l'enquête commence...
Le site majeur est à 87 mètres, c'est un champ de débris. Je me replonge d'une part au fond de la mer pour aller redocumenter les vestiges et puis surtout, dans l'étude au sens scolaire du terme, de toutes les caractéristiques de l'avion. Il me faut 20 mois d'études pour confirmer qu'il s'agit bien de l'épave d'Antoine de Saint-Exupéry. Et au-delà de l'épave, je mène une longue enquête sur les circonstances de sa mort et celle du pilote de l’avion allemand, le prince de Bentham.
Je suis navré, j'ai cassé la fin idéale de mon héros. J'ai pu mettre un nom sur le pilote qui l'a abattu, sur les circonstances de sa mort, sur les détails de ses missions. Le côté romantique a été un peu bousculé. Et le côté historique a été complété.