De Marseille à la Ciotat : un littoral bien gardé
À la veille du débarquement de Provence, le littoral est extrêmement bien gardé par l’armée allemande. Moins connu que son homologue Atlantique, le Südwall, construit de novembre 1942 à août 1944, s’étend pourtant de la frontière espagnole jusqu’à l’Italie. Au moment de la libération, le système défensif allemand sur les côtes de la Méditerranée se compose de 500 ouvrages en fonction : blockhaus, batteries, tobrouks... 200 ouvrages sont encore en construction, comme en temoignent les emblématiques « croix » dressées en haut du fort de Ratonneau au Frioul.
Sur le littoral des Calanques, entre Marseille et la Ciotat, le système défensif allemand semble impénétrable. Il se compose notamment de batteries préexistantes et transformées comme au Cap Croisette ou au Frioul, mais aussi de constructions nouvelles, 100% allemandes, comme la batterie de l’Escalette.
L’accès à toutes les plages et criques des Calanques est fermé par des murs en béton (comme à En-Vau), ou des ensembles de barbelés et autres structures plus légères en béton. Des vestiges de ces structures reposent aujourd’hui dans les petits fonds de la calanque de Sormiou. Plusieurs pistes sont ouvertes pour permettre aux véhicules militaires d’accéder au littoral, et des plateformes en béton sont créées, comme à Sugiton, au cap Canaille et à l’anse du Sec. Des corps de gardes postés à toute heure du jour et de la nuit surveillent les lieux dans des casemates.
En amont du débarquement, plusieurs avions alliés en survol au-dessus du littoral des Calanques seront neutralisés par l’armée allemande. C’est notamment le cas du P-38 de l’aviateur américain Harry Greenup, dont l’épave se situe dans la baie de La Ciotat. Et si le mystère demeure sur les circonstances exactes de la disparition d’Antoine de Saint-Exupery, l’épave de son avion, sorti pour une mission de reconnaissance en juillet 1944, repose, elle aussi, au large des Calanques.
Leurres et bombardements
En août 1944, le littoral entre Marseille et la Ciotat est si bien gardé que les alliés orientent l’opération Dragoon vers l’Est. C’est donc depuis les plages du Var que les troupes débarqueront pour libérer les places fortes que constituent Toulon et Marseille. Dès lors, le territoire des Calanques ne constituera qu’un théâtre « secondaire » des opérations.
Et pourtant, l’armée allemande a bien cru à un débarquement des alliés depuis La Ciotat et les portes de Marseille… Tout pointait effectivement dans ce sens. Dans la nuit du 14 au 15 août se tient l’opération Ferdinand pour leurrer l’ennemi. Résistant ciotaden, Louis Jeansoulin se rappelle de cette nuit dans un témoignage recueilli par le journal La Provence.
Au leurre de l’opération Ferdinand, s’ajoutent aussi de nombreux bombardements aériens qui viennent affaiblir l’armée allemande sur le front « secondaire » que constitue le territoire des Calanques. Les 12 et 13 août, des explosions ravagent l’Île Verte, si bien que le paysage et la topographie du site gardent, aujourd’hui encore, des traces bien visibles de cet épisode tourmenté. Du 24 au 27 août, les bombes retentiront avec une intensité renouvelée du côté du Frioul…
Les Tuskegee Airmen neutralisent une position allemande au Bec de l’Aigle
Dans le cadre du travail de sape du Südwall, une position allemande située sur le Bec de l’Aigle est attaquée par une escadrille américaine de red tails le 12 août. Les pilotes sont exclusivement des noirs américains surnommés les « Tuskegee Airmen ». Cette unité constitue une véritable originalité dans une armée de l’air américaine alors presque exclusivement blanche et largement traversée par le racisme. Les préjugés de l’époque sont d’ailleurs si forts, qu’à sa création en 1940, l’unité est dite « expérimentale » : de nombreux rapports pseudo-scientifiques affirmaient que les Afro-Américains étaient incapables, du fait d'une infériorité intellectuelle supposée, de mener des vols de combats complexes.
Si le raid contre la position allemande du 12 août est un succès, l’avion du Lieutenant Robert O’Neil est touché et s’écrase plus loin sur la commune de Trets. Son pilote réussi néanmoins à sauter en parachute. O’Neil sera recueilli par des Résistants jusqu’à l’arrivée des troupes américaines débarquées le 15 août.
Marseille libérée depuis ses collines
Débarquées depuis le Var, les troupes alliées progressent à terre vers Marseille et vont prendre la cité phocéenne par le Nord et l’Est en traversant notamment par le massif des Calanques. Dans la bataille pour la libération de Marseille, la prise du tunnel-abri de Saint-Tronc, les 23 et 24 août, par les soldats du 2° Groupement de Tabors Marocains avec à leur tête le colonel Boyer de Latour, constitue une avancée majeure.
Quelques heures plus tôt, le 22 août, les goumiers marocains (unités d’infanterie légères de l'armée d'Afrique composées de troupes autochtones) ont libéré Aubagne. Les troupes peuvent alors progresser sur Marseille en traversant le massif des Calanques par Carpiagne et le massif de Saint-Cyr. Aux abords de la ville, le tunnel-abri de Castel Roc, situé dans le quartier de Saint-Tronc et dont les vestiges sont aujourd’hui classés en cœur de Parc national, constitue une cible stratégique… Cette position allemande constitue, en effet, le Quartier général de la "Feldkommandantur" des Bouches-du-Rhône. Le général de brigade Claus Boie, qui dirige la zone de défense sud de Marseille, s’y trouve en compagnie de son état-major. L’association des Fortifications de Marseille et des Bouches-du-Rhône retrace le récit de la bataille pour le tunnel-abri.
Une fois cette prise stratégique réalisée, les troupes de goumiers marocains continuent leur progression vers le centre de la Ville, et viennent en renfort du 7e régiment de tirailleurs algériens (7e RTA) et des blindés de la 1re DB. Autour de Notre-Dame de la Garde, de la gare Saint-Charles et du Fort Saint-Nicolas les affrontements sont violents et meurtriers.
Aux dernières heures avant la capitulation du général Schaeffer, le 28 août, les goumiers marocains livreront une dernière bataille au Fort Napoléon du Cap Croisette. Cette prise scellera le contrôle de l’ensemble du littoral sud et précipitera la défaite de l’armée allemande.
Le retrait des troupes allemandes de Cassis
Pendant la Libération, Cassis ne connaît pas d’affrontements directs. Alors que leur armée est en difficulté, les soldats allemands reçoivent l’ordre d’abandonner leur position et de se replier sur Marseille. Ils le feront à partir du 20 août après avoir sabordé le port et coulé un bateau dans la baie. Au cours de ce repli, harcelé par les Résistants, un officier est atteint par un coup de fusil et laisse tomber son porte cartes avec différents croquis de Cassis et plans de tirs. Tachés du sang de l’officier, ces documents sont conservés aux archives Départementales.
Le jour suivant, les Résistants de la région de Cassis aideront les goumiers dans leur traversée du massif des Calanques en direction de Marseille.
Le Parc national des Calanques remercie Bernard Descales et l'association des Fortifications de Marseille et des Bouches-du-Rhône, dont les données ont largement alimenté la rédaction de cet article. Dans le cadre de l'Automne des Calanques, des visites guidées autour du patrimoine militaire des Calanques seront organisées par l'association.