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Grande amoureuse des bêtes depuis l’enfance, Cristèle Gomez vit au rythme de son troupeau de chèvres au sein du camp militaire de Carpiagne. Originaire de Gémenos, elle est très attachée au territoire et met un point d’honneur à travailler avec des races locales.  

Portrait par Éric Lenglemetz, recueil du témoignage par Noëlie Pansiot.

Carpiagne comme terroir

J'ai toujours travaillé avec les bêtes ; plus jeune c'était avec les chevaux. Après je suis tombée amoureuse des brebis. Je me suis retrouvée à faire une transhumance où on démontagnait les bêtes. Et de fil en aiguille, j'allais aider des bergers pour apprendre.

Et puis voilà, je suis partie seule avec les brebis en alpage. Une année, je suis tombée sur une technicienne de la Chambre d'Agriculture qui disait qu'il y avait un projet agro-sylvo-pastoral entre Gémenos et Cuges. Et comme j'étais originaire de Gémenos, j'étais contente de revenir au pays avec les bêtes. Depuis, ça fait 20 ans que je viens ici, sur le camp militaire de Carpiagne, au coeur du Parc national des Calanques, avec mes troupeaux.

Depuis quelque temps, les acteurs publics ont décidé de travailler avec des chèvres pour la protection incendie en faisant de l’écopastoralisme. Les chèvres, contrairement aux brebis, vont taper dans tout ce qui est ligneux, et ici, dans la garrigue, il y a beaucoup d’espèces ligneuses. C'est pour celà que le camp militaire est intéressé par mon activité.

J’ai à peu près 150 bêtes, l’objectif c’est de monter à 200 mères, on a établi une cartographie, le nombre d’hectares serait adapté et ça reste gérable pour une personne. Avec mes brebis, je suis en production viande et je travaille avec les AMAP en vente directe.

Et l'objectif c'est de faire pareil avec les cabris. Faire du cabri lourd et le commercialiser en circuit court. Alors ça s'est perdu culturellement, mais oui, on mange du cabri. C'est une viande plutôt saine à consommer, plus maigre que le poulet et riche en oméga trois. Elle est conseillée aux diabétiques ou aux gens qui ont du cholestérol et elle fait partie du régime crétois. 

J’essaye de travailler avec des races locales, c’est quand même plus pertinent. J’ai choisi la chèvre du Rove. C'est une espèce locale très rustique et c'est un grand plaisir de la voir manger les chênes kermès et tout ce qui n'est pas mangé par les brebis.

À l'heure actuelle, tout est urbanisé et bétonné, ça devient très compliqué. Les camps militaires pour nous, éleveurs, c'est intéressant parce que ça permet de préserver les terres. Au moins, on sait que ça ne va pas être bétonné.

Le changement climatique... c'est aussi une menace pour les éleveurs et elle se rajoute à l'urbanisation. Tous ces facteurs inquiétants m’ont donné envie de partir sur ce projet qui est rassurant. Maintenant, je me sens privilégiée d'être là dans les Calanques, à Carpiagne. Je suis un peu sous cloche.

Parce qu’avec les brebis suivant les endroits où l'on va, ça devient très compliqué avec les changements de mentalités... Beaucoup de gens se promènent et ne font pas toujours preuve de civisme. Les chiens de particuliers ne sont pas dressés, ils traversent le troupeau...  Et il n'est pas rare de se faire insulter, ou agresser…

Moi, je ne fais pas ce métier pour vivre ça. Ici, depuis 20 ans, ça s’est toujours bien passé et j'ai l'impression d'être isolée. À part quelques légionnaires, c’est calme…

Cohabiter avec le loup

Avec le Parc national, ça se passe bien. Avec le loup, je crois qu’il faut se résigner à cohabiter avec... Qu'est-ce que tu veux ? sinon c'est insupportable et j'arrête ! On verra à l'avenir comment ça se passera... Je sais qu’il va taper dans les chèvres. J'ai déjà eu des attaques en pleine journée. J'espère seulement ne pas subir un gros dommage. Cela me briserait le coeur.

À l'heure actuelle, mes bêtes couchent dans un grand parc en grillage que l'armée me met à disposition. Je les compte, mais, avec le loup,  je n’ai pas envie d'être dans la psychose non plus... .J’ai aussi un projet de bâtiment pour les rentrer.

Avec Nicolas, qui s’occupe du loup au Parc national, on en échange régulièrement. Il me dit où il les voit. Je suis assez privilégiée d'avoir un échange comme ça, ça n'a pas toujours été le cas ailleurs. En montagne et en estives, on avait des attaques aussi et il y avait des gardes qui n’étaient pas toujours compréhensifs et respectueux.

Moi j'apprends, j'apprends aussi sur le loup. L'autre jour, Nicolas me disait qu’il m’a vu passer pâturer avec mes chèvres sur ses pièges photos et que deux heures après, il y avait le couple de loups juste derrière. Quand je trouve des fèces, je lui dis où je les trouve. Et on essaye d'en savoir un peu plus, comprendre comment il fonctionne. Ce n’est pas pour ça que j’en ai moins peur.

La louve a mis bas, les louveteaux vont apprendre à chasser. On avait des attaques comme ça en montagne, ça va cartonner. J'ai toujours cette épée de Damoclès sur la tête. Après voilà, s'il vient en prendre une de temps en temps, c'est une chose... mais si c'est pour me les faire dézinguer toutes... c'est pas pareil. Moi, je n'ai pas envie de ça, sinon je repars en brebis. Même si on te rembourse celles qu'on trouve mortes, tu as un lien avec les bêtes, il n'y a pas que l'argent…


Source URL: https://calanques-parcnational.fr/des-connaissances/culture-et-patrimoine/paroles-et-visages-des-calanques/cristele-gomez-la-bergere