Entre ville et nature

Une terre de contrastes

Dans ces confins marseillais, ville et nature s’entrechoquent et se mêlent. Au sein de cette étroite zone tampon, le passage de l’espace urbain au cœur de parc se fait parfois sans transition. Avec l’abandon progressif des activités de terroir et l’investissement immobilier des anciennes parcelles rurales, le contraste s’est amplifié. C’est peut-être dans ce périmètre qu’il est le plus visible au sein du Parc national des Calanques.

Bastides et grands ensembles se côtoient dans des vallons verdoyants dominés par une topographie tourmentée. D’ouest en est, on rencontre la montagne de l’Aigle (199 mètres de hauteur), la crête et le sommet des Escampons (286 mètres), le mont Redon (214 mètres) et le mont Rouvière (231 mètres).

C’est à la jonction des massifs des Calanques et de Saint-Cyr, sur la route qui mène à Luminy et à la Gineste, que se situent les anciens villages du Redon et de Vaufrèges. Plusieurs autres quartiers se logent au pied des collines : la Cayolle, les Baumettes, Beauvallon, la Seigneurie, la Panouse… Concentrons-nous sur deux lieux emblématiques : le Roy d’Espagne à l’ouest et la Rouvière à l’est.

Un roi d’Espagne à Marseille

Le quartier du Roy d’Espagne tient son nom de Charles IV, détrôné en 1808 et exilé en France par Napoléon. L’empereur met à la disposition du monarque déchu les châteaux de Chambord et de Compiègne, mais l’Espagnol n’apprécie guère ces climats nordiques. Ainsi Napoléon finit-il par l’assigner à résidence dans une bastide construite par un négociant marseillais.

On raconte que ce roi débonnaire se déplaçait dans le domaine avec une calèche tirée par des mules blanches, qu’il chassait les cailles et jouait du violon. Le dimanche, il invite même les villageois de Mazargues pour faire la fête et danser !

La « campagne du roi d’Espagne » est évoquée par Stendhal en 1838, mais le château aurait été dynamité par les Allemands à l’arrivée des troupes américaines en août 1944. Il subsiste de la propriété son mur d’enceinte entre la montagne de l'Aigle et le vallon de la Jarre, ainsi qu’une pyramide ayant servi de mausolée familial.

Des gratte-ciels dans les collines

Après les projets de Gaston Castel (qui a dessiné la prison des Baumettes) puis de Le Corbusier, c’est finalement la résidence du Roy d’Espagne qui est réalisée entre 1959 et 1974. Cette ville verticale, en occupant peu d’emprise au sol, permet de préserver un maximum d’espace naturel. Implanté dans une vaste pinède, le programme architectural a été labellisé patrimoine du XX^e siècle. C’est également le cas de Castelroc-le-Haut, une autre résidence située plus au nord, au pied du mont Sainte-Croix, bâtie en 1973 sur les mêmes principes.

À proximité s’étend, sur un terrain de plus de deux hectares, une ferme pédagogique qui sensibilise les enfants au milieu naturel. Non loin de là s’élève le lycée des Calanques, qui forme aux métiers de l’environnement et de l’agronomie. Ces deux structures comptent le Parc national des Calanques comme partenaire.

Du château de la Rouvière à Super Marseille

À proximité des anciennes carrières du vallon Redon se situe le château de la Rouvière, aujourd’hui partagé en appartements, et qui a appartenu à une famille de banquiers marseillais, les Bonnasse. Il reste de la propriété les vestiges d’un jardin à la française, deux bassins, une colonnade, des sculptures, de superbes cèdres, des murs de séparation sur les pentes et une vigie néogothique sur la crête.

C’est dans cet ancien domaine que s’érigent, entre 1961 et 1971, de monumentales barres d’habitations : elles s’étagent de 80 à 160 mètres d’altitude sur des pentes à 50%. Ces immeubles dépassent en hauteur la ligne de crêtes des collines sur lesquelles ils sont bâtis ! La Rouvière, nommée « Super Marseille » lors de sa construction, est décrite comme étant, avec 8 800 habitants, la plus grande copropriété d'Europe.

Architecture brutale dans un site lui-même chaotique, cette réalisation offre des visions puissantes, fusionnant urbanité et naturalité au sein d’un même grand paysage. À la tombée du jour, les fenêtres de cette cité dans le ciel s'enflamment des derniers rayons du soleil…

« Adieu bureau, adieu tourments,
Ceci est mon œuvre dernière,
Elle a pour titre La Rouvière,
Et le bonheur pour dénouement. »

Eugène Bonnasse, propriétaire de l’ancien domaine de La Rouvière