Un domaine entre mer et collines

Aux portes de la ville

Ce vaste parc se divise schématiquement en deux parties. Dans la partie basse est aménagé un jardin public autour de jeux d’eau. Dans la partie haute, au bout de l’allée principale, on entre dans un espace plus sauvage : le cœur du Parc national des Calanques. Il est délimité par l’extrémité sud-ouest d’une rigole (ou canal de dérivation du canal de Marseille) qui sillonne les lieux.

Cet immense domaine bastidaire est l’un des rares à avoir résisté quasi intégralement à l’évolution urbaine et à la promotion immobilière. Il offre aujourd’hui au public son parc de 112 hectares, dont 100 hectares d'espaces naturels. De ses piémonts boisés partent de nombreux sentiers de randonnée à l’assaut du massif de Marseilleveyre.

Une partie de campagne

Ce domaine tient son nom d’une grande famille marseillaise, les Pastré, dont cinq générations ont vécu là. Aujourd'hui, c’est pour tous les Marseillais un important lieu de promenade, de sports de nature et de loisirs variés, qui comporte un petit parc accrobranche, un centre équestre et un théâtre. Fréquenté par de nombreux écoliers, c'est en outre un lieu idéal pour pratiquer l’éducation à l’environnement.

Avant la constitution du domaine familial, ce territoire était occupé par des cultures (vignes, céréales, oliviers, amandiers, figuiers, poiriers, abricotiers) et des pâtures. Aux animaux d'élevage succéderont les canards et les cygnes des bassins d'agrément pris sur le canal de Marseille. En 1827, c'est d'abord la girafe Zarafa qui s'y promènera... Puis en 1861, ce sont des autruches qui écloront à Pastré, dans le cadre d'une expérimentation menée par le jardin zoologique ! Le vallon où elles ont grandi porte désormais leur nom.

Dans ce coin de nature poussent les espèces habituelles de la forêt méditerranéenne : pins d’Alep, chênes verts, lauriers-tins, ainsi que des mourvens, ou genévriers de Phénicie. C'est sous l'un deux que Napoléon et Désirée Clary se seraient échangés des paroles d'amour... Avec la transformation paysagère des lieux, on y a introduit de nouvelles espèces : mimosas, pins parasols, cèdres de l'Atlas, yuccas, bambous… À travers cette végétation luxuriante se dégagent de superbes vues sur les collines et la mer.

Le château Pastré

Plusieurs bastides sont disséminées dans cet espace verdoyant et ses alentours. La plus importante est le château Pastré. Bâti en 1862, il est une commande de l’armateur et négociant Eugène Pastré à l’architecte Jean-Charles Danjoy. Pierre angulaire du patrimoine local située dans un environnement exceptionnel, il est un monument jalon du Parc national des Calanques.

Ce magnifique ouvrage polychrome compose un ensemble élégant et de grand caractère. L’édifice comporte deux originalités : ses pierres et ses briques roses, et son avant-corps saillant de forme arrondie. Il s'ouvre sur une prairie encadrée de pins et dominée par les falaises de Marseilleveyre par un large escalier à double volée, comme une invitation à la nature.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, il abrite des services du consulat américain puis de l'état-major allemand. À la fin du XX^e siècle, il exposera un temps une sélection de faïences, dont la cité phocéenne était un centre de production réputé. Ces collections ont depuis été transférées au château Borély.

Des bastides au pied des collines

Dans la partie basse du parc, dissimulée par les arbres, s’élève la villa Provençale : cette bastide du XVIII^e siècle sert aujourd’hui à l’accueil des invités de marque. Non loin de là se dresse le château Estrangin, construit en 1861 dans un style anachronique, celui du nord de la France, bien que l'architecte en soit marseillais : il abrite un centre aéré ainsi que le Naturoscope, membre historique du réseau Éducalanques. À proximité, le château Sanderval, qui date de 1850, héberge un institut pour jeunes en difficulté. Citons également, mitoyen du parc, le château Double, aujourd’hui École nationale supérieure maritime.

Toutes ces terres, qui s’étendaient à l’époque sur plus de 120 hectares, ont été acquises par la famille Pastré dans la première moitié du XIX^e siècle. Les demeures y ont été construites pour servir d’habitations aux différentes branches familiales. À partir des années 1960, la Ville de Marseille achète la quasi-totalité du domaine pour en ouvrir la plus grande partie au public.

Une comtesse à Montredon

Ici vécut une personnalité marquante : l’excentrique et généreuse Lily Pastré. Elle entre dans l’histoire au moment de l’Occupation. À cette époque, Marseille est une ville refuge pour de nombreux intellectuels et artistes. Lily Pastré vient à leur secours, faisant de sa propriété un haut-lieu de la culture européenne. Y séjournent notamment Francis Poulenc et André Masson, parmi une quarantaine d’artistes hébergés en permanence.

La comtesse fait également partie du réseau de Varian Fry. Cet Américain envoyé à Marseille pour organiser la fuite de quelques personnalités sauva finalement plus de deux mille personnes (dont Claude Lévi-Strauss et Marc Chagall). Lily accueillera par la suite à Pastré de nombreux autres artistes, comme Édith Piaf, Joséphine Baker, Louis Jouvet, Paul Valéry ou Roland Petit.

De Shakespeare à Emmaüs

En juillet 1942, elle fait représenter Le Songe d’une nuit d’été en plein air à Pastré. Shakespeare est alors interdit, tout comme l’œuvre de Jacques Ibert, compositeur de la musique, sans parler de l’orchestre en majorité juif. Le couturier Christian Bérard utilisera les rideaux du château pour réaliser les costumes ! Ils seront brûlés à la fin de cette représentation unique, image éphémère de ce rêve d’une nuit en pleine Seconde Guerre mondiale. Lors de cette soirée mémorable, Edmonde Charles-Roux, future femme de lettres et épouse du maire Gaston Defferre, interprétera une des fées...

En 1948, Lily Pastré initie la création du festival d'art lyrique d'Aix-en-Provence. Dernière action remarquable : elle loue pour un montant symbolique une parcelle de sa propriété à l'abbé Pierre, au bénéfice des compagnons d'Emmaüs, qui y résident encore à ce jour. Ce sont eux qui apporteront la plus grande couronne de fleurs à son enterrement…

« Chère madame, j’ai pu assister à la féerie que vous avez faite dans votre parc. Dans l’enchantement de cette nuit, je vous ai aperçue à travers les arbres toute blanche, après les lumières éteintes : vous étiez comme dans une auréole de bonheur. Je n’ai pas osé rompre le charme par un compliment qui aurait pu être banal, et j’ai préféré vous laisser savourer votre émotion dans la solitude et ainsi, muet de plaisir, rester dans l’ombre. Aujourd’hui je viens vous dire merci de la part de tous mes amis et de la mienne, nous avons tous fait un beau rêve, grâce à vous. »

Raoul Dufy